Le Petit Lorientais - interview de M. Guignant, patron du remorqueur

NAUFRAGE DE L'ANSE DU SAC'H




Journal Le Petit Lorientais du 3 juillet 1938 


Notre interview de Monsieur GUIGNANT, patron du remorqueur "Ville d'Etel"
Dans l'un de nos précédents articles, ayant trait au naufrage de l'Anse du Sac'h, nous avons relaté les déclarations que nous fit à Groix le patron Le Gal. Il nous dit en particulier : « J'ai demandé au remorqueur de me rentrer à Etel, il s'y est refusé, prétendant qu'il n'y avait pas assez d'eau. La mer était basse en effet, alors je lui ai demandé de me conduire à Port-Louis, mais il est parti » Cette déclaration, ou bien était incomplète, ce qui n'eut pas été étonnant, étant donné l'état de faiblesse du patron Le Gal, ou bien les faits pouvaient laisser supposer que le patron du remorqueur n'avait pas fait tout son devoir. On comprendra donc que dans notre souci d'information Impartiale, nous ayons tenu à aller voir ce matin le patron de La Ville d'Etel.

M. ALEXANDRE GUIGNANT EST UN EXCELLENT MARIN
Tous les renseignements que nous avons obtenus sur M. Alexandre Guignant concordent à le montrer comme un homme courageux, sérieux et n'ayant jamais hésité à se dévouer à sa tâche. Au reste voici ses propres déclarations : « Vers 17 heures, le 28 juin, il y avait un très fort vent de suroît et j'avais remorqué tous les thoniers jusqu'à la sortie de la barre, mais le dundee Anse-du-Sac'h nous croisa sur la barre sans demander notre assistance. Il pouvait être 20 h. 30 lorsque M. Marrec, maire d'Etel et quelques amis me prévinrent à mon domicile que le mât Fenoux qui avait aperçu dans la mâture de L 'Anse-du-Sach une boule noire avait hissé à son tour deux boules noires. Il appelait le remorqueur suivant le code maritime. Me rendant immédiatement à bord du remorqueur après avoir fait prévenir mon matelot et mon mécanicien, nous avons appareillé vers 20 h. 45. A 21 heures environ, nous étions près du dundee, la mer était grosse et le vent, très fort. Je fis interpeller le patron de l'Anse-du-Sac'h par mon matelot Runigo au porte-voix. « Que désirez-vous ? » Rentrer à Etel, nous avons une voie d'eau et les pompes n'étalent pas! J'ai répondu : « Nous ne pouvons vous rentrer à Etel, car nous vous échouerions sur la barre ! » En effet, avant de sortir, j'avais sondé la passe, il n'y aurait pas eu assez d'eau pour le retour. J'ajoutais : « Faites-donc route sur Port-Louis.

IL HISSA SA TRINQUETTE
"Le patron a certainement compris le conseil que je lui donnais, car il vira de bord et hissa sa trinquette, m'indiquant d'un geste du bras par deux fois, en montrant la direction du Noroît qu'il m'avait bien compris. Au moment où je croisais sur les lieux, le dundee Anse-du-Sac'h ne paraissait pas en danger; sa stabilité était normale. Avec les vents de suroît, il pouvait être normalement à 23 heures en rade de Port-Louis avec la voilure qu'il portait. Je dois également faire une autre remarque: après avoir pris le large, le dundee Anse-du-Sach se trouva un moment donné presque à mi-chemin entre Etel et Port-Louis. Tout a coup les pêcheurs attardés sur le quai d'Etel, se rendirent compte que ce bateau virait de bord, pour se diriger presque vent arrière vers la passe d'Etel, puis de nouveau changer de direction et reprendre le large. C'est à ce moment qu'il dut changer encore de décision, puisqu'il hissa sa boule noire. Vous connaissez la suite... Au moment où il demanda le remorqueur L' Anse-du-Sach aurait pu entrer normalement, à Etel, le vent étant assez fort pour lui permettre de refouler le courant de jusant, et à 19 heures, il avait encore suffisamment d'eau sur la barre. Il eut suffi de demander la passe au sémaphore. J'ai d'ailleurs rédigé un rapport dans ce sens. Mon matelot Runigo peut témoigner de ma sincérité. Je me réserve évidemment de l'amplifier si besoin est, à ce propos, je note qu'à l'instant où je joignis l'Anse-du-Sach, son tangon n'était pas amené et son canot était encore à la mer ! ! Marrec, le dévoué maire d'Etel, avait eu l'occasion de suivre, du quai, une grande partie des évolutions du thonier Anse-du-Sach relatées par le patron du remorqueur municipal. M. Guignant, à son retour, lui fit d'ailleurs cette déclaration : « Puisque ce thonier m'a dit qu'il pouvait marcher tout seul, je n'avais plus qu'à rentrer. »

Nous avons posé à M. Guignant une dernière question : "Croyez-vous que la voie d'eau déclarée par le patron Le Gall soit à l'origine de la perte de son thonier ?"
"L'Anse-du-Sach faisait eau comme font eau tous les thoniers qui n'ont pas encore été calfatés. Cela ne les empêche pas d'aller au large si leur pompe donne; si la pompe ne marche pas (et l'on ne peut en être certain qu'une fois parti), le bâtiment n'encourt aucun danger imminent, mais il ne peut, évidemment, aller passer quinze jours en mer. « D'ailleurs, si L'Anse-du-Sach s'était trouvé en danger de ce fait :
1° Elle aurait hissé son pavillon noir et sa boule ;
2° Elle n'aurait pas hissé sa trinquette et viré de bord ;
3° Surtout, elle n'aurait pas « mouillé ». "

Nous n'aurions garde d'anticiper sur l'enquête officielle en donnant ici notre avis. Tous les points sont éclairés, sauf un seul : Pourquoi le thonier a-t-il mouillé ? La voie d'eau ? Non ! d' après le patron du remorqueur. Route perdue dans la nuit et la brume ? Le temps, en effet, était bouché ; on doit, à l'appui de cette thèse, révéler un fait : Alors que l'épave de L'Anse-du-Sach gisait près de « La Vache » (non loin du Magouéro), son canot a été retrouvé à Gâvres, sans qu'aucune autre épave ne sillonne son parcours. Le thonier, après s'être rendu compte qu'il s'était fourvoyé, n'aurait-il pas viré de bord ? Le thonier a-t-il touché avant de mouiller ? C'est l'opinion généralement admise par les marins que nous avons interrogés ce matin. D'autres avis furent émis qui doivent être tus, M. Le Gall, l'infortuné patron de l'Anse-du-Sach, pourra seul, lorsque sa santé lui permettra de compléter ses déclarations, nous fixer définitivement sur les causes de l'affreux accident qui coûta la vie à cinq hommes et la perte d'un bâtiment".




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