COMPLEMENTS

Le sémaphore - Barre d'Etel
Anse du Sac'h

Lire: Interview Monsieur GUIGNANT







 



Article d'Ouest Eclair du 30 juin 1938

Lorient, 29 juin (de notre rédaction).
La campagne thonière de 1938 est à peine commencée que déjà, il nous faut relater un sombre drame de la mer qui a fait 5 victimes et c'est la région d'Etel/Plouhinec/Port-Louis, si éprouvée par le cataclysme de 1930 qui est encore en deuil. 
Un coup de vent de suroît a eu raison d'un bateau neuf et d'un équipage valeureux qui partait confiant et qui a été pris alors qu'il venait à peine de doubler la barre d'EteL
Il est encore assez difficile de connaître les circonstances exactes du naufrage, puisque le seul rescapé, le patron du voilier, est dans un grand état de faiblesse.
Le thonier Anse-du-Sach, dont le patron Julien Le Gal. est co-armateur avec M. Alfred Belz, quittait Etel mardi vers 18 h. 30, frais et pimpant, sous son gréement neuf. Le patron Le Gal, âgé de 45 ans, titulaire du brevet de capacité à la pêche avait réuni un
équipage de 5 hommes (ci-après nommés). 
Vers 21 heures. L' Anse-du-Sach revenait devant l'entrée du port d'Etel. Il demandait le remorqueur Ville-d'Etel pour le ramener en rivière, car il signalait une légère voie d'eau. A cette heure, la mer était basse. Il n'y avait pas assez d'eau sur la barre. Le patron Le Gall fut donc forcé de rebrousser chemin pour croiser dans la baie.
Le vent avait déjà fraîchi et la mer grossissait rapidement, tandis que le temps devenait boucailleux.

Un voilier à la côte
Mais ce n'est que mercredi matin que l'on devait connaître le drame. A 8 heures. le sémaphore de la pointe de Gâvres signalait au vice-amiral commandant de la marine à Lorient qu'il apercevait dans l'est et à environ 3 milles, la mâture d'un thonier qui avait coulé.
Une heure plus tard, le chef guetteur faisait connaître le numéro d'immatriculation
du bateau - Auray 5095 - et qu'il voyait un homme agrippé dans la mâture.
Ces différents messages étalent immédiatement transmis à M. Andrieux, administrateur en chef de l'Inscription maritime du port de Lorient, qui alertait Etel et Groix. De son côté, l'amiral commandant la marine faisait appareiller le remorqueur Trégara, de la direction du port de Lorient, pour porter secours aux naufragés.

Parmi les épaves, le corps d'un marin
Vers 10 heures, un jeune marin, Frédéric Bohec, âgé de 20 ans, domiciliéau village de Marue-Kressin. ep Plouhinec, se rendait à la grande plagepour pêcher la crevette. quand il aperçut sur la côte le corps d'un noyé. Un peu plus loin, le rivage était jonché d'épaves, pavois, bordées. sabots, avirons, bottes, canot, coffre à médicaments.
Au large, à quelque 400 mètres, une coque de thonier émergeait à moitié et un homme était agrippé dans la mature.
Le jeune Bohec eut vite fait de ramener le noyé qui était nu jusqu'à la ceinture M. Lezet. l'actif maire et conseiller général de Plouhinec. et son secrétaire de mairie furent bientôt sur la plage.
Les marins reconnurent dans le noyé un de leurs amis de Riantec. Pierre Mollo. connu sous le sobriquet de Lala.
Le docteur Duret. de Plouhinec, et la gendarmerie de Port-Louis, vinrent faire les constatations, tandis que la famille  était prévenue avec les ménagements d'usage.

LE BEAU COURAGE DES SAUVETEURS DE GROIX
Dès qu'il fut avisé du naufrage, M. Le Priol, le diligent chef de service de l'Inscription maritime de Groix, alerta le canot de sauvetage.
L'encombrement du port et la basse mer ne permirent pas au sous-patron. Pierre Tonnerre, de mettre le canot à la mer et celui-ci s'adressa immédiatement à M Henri Calloch, l'armateur bien connu de l'ile, beau-père de M. Tristan, député-maire, qui n'hésita pas à armer sa vedette à moteur "Kerlivio".
Le sous-patron Tonnerre y prit place, ainsi que le jeune marin. Pierre Salaün. qui, bien qu'amputé d'un bras, n'écouta que son courage pour se joindre à eux.
Il était alors 9 h. 30. Une heure après, le Kerlivio approchait de la baie de Gâvres.
La mer, qui était presque basse, brisait furieusement sur le voilier qui gisait non loin de l'épave du cuirassé allemand Thuringen.
Le marin était toujours suspendu dans la mâture. Il s'agrippait au capelage des haubans, les pieds tournés vers la pomme du mât. Le pont était balayé par les lames avec une grande violence.
A plusieurs reprises, les sauveteurs groisillons tentèrent d'approcher. D'autres barques étaient là. Mais le danger était grand.
Le remorqueur Trégara, de la Direction du Fort, qui était arrivé, avait mis une embarcation à la mer.
Dans une dernière tentative. MM. Calloch, Tonnerre et Salaün. en n'écoutant que leur courage et au mépris de la mort car leur vedette menaçait à tout instant d'être roulée par les lames qui déferlaient avec une rare violence réussirent à accoster le thonier en mouillant un peu au large de lui et en se laissant tomber lentement sur l'épave.
Au prix de nombreux efforts, le sous-patron Tonnerre réussit à grimper dans la mâture et à saisir l'homme qui ne réagissait plus et qui ne répondait même pas à leurs appels. Il fut bientôt sur le Kerlivio.
De bons soins le ranimèrent quelque peu, tandis que la vedette faisait route à toute vitesse sur Port-Tudy.
Il fit alors connaître son nom.
Je suis le patron, dit-il. Mon bateau n'a pas coulé. Et Il retomba dans un état de prostration.
Dès l'arrivée, le docteur Romieux était à son chevet et lui prodiguait ses meilleurs soins.
On craignit un instant une congestion. Il n'en devait être heureusement rien et, dans l'après-midi, on communiquait de meilleures nouvelles du patron, qui avait retrouvé ses sens et qui ne s'inquiétait que du sort de son équipage.

A la plage tragique
Nous nous sommes rendus, dans l'après-midi, sur les lieux du naufrage.
Sur la grande plage que limite le polygone marin de Gâvres, s'étendant à perte de vue, depuis le sémaphore de l'entrée de Lorient Jusqu'à la barre d'Etel, les lames déferlent dans un bruit assourdissant sur les sables blancs, où chaque vague ramène une épave du malheureux voilier.
Les hommes et les femmes guettent, scrutent la mer qui vient s'écraser sur la grève, pour voir si elle ne ramené pas le corps d'un des quatre marins disparus.
Sous le soleil, le mât du thonier apparaît comme un point noir car la pleine mer recouvre maintenant complètement la coque sur laquelle s'étale un large remous.

Les marins qui sont là, et ils sont venus nombreux d'Etel. notamment M Hervé, qui fut longtemps capitaine du remorqueur Ville d'Etel. et M. Morvan, président de la Mutuelle de l'Armement étellois, discutent des circonstances du naufrage.

On émet des hypothèses, car seul le patron Le Gai pourra en relater les causes.

Dans la famille du patron
Un peu plus tard, nous nous trouvions au village de Larmor. en Belz, chez Mme Le Gal, où nous nous rencontrions avec notre ami Gaston Le Rolle, le dévoué maire, conseiller d'arrondissement de Belz, qui, précisément. venait apporter à la femme du patron et à sa grande Jeune fille de 17 ans. de bonnes nouvelles du chef de la famille.
Mme Le Gal qui, mardi soir, se trouvait à Etel pour l'appareillage du navire, nous parle de l'équipage, et c'est les larmes aux yeux qu'elle nous dit combien c'étaient de braves gens. Elle s'étonne beaucoup cependant que l'Anse du Sach ait eu une voie d'eau car. précise-t-elle. c'était presque un bateau neuf il avait été construit aux Sables en 1931: "Mon mari avait bien veillé à l'armement et toutes les pompes marchaient bien avant le départ".

Le rôle d'équipage
Nous avons pu obtenir la composition exacte du rôle d'équipage,  de l'aimable chef du préposé de l'inscription maritime, à Etel. Le voici dans toute sa sécheresse administrative:

Patron Le Gal Julien-Marie, né le
2 septembre 1892 à Belz domicilié à
Larmor-Belz. inscrit à Auray 2977.
marie, un enfant

Matelot Laurec Albert-Joachim Marie.
né à Sainte-Hélène. le 7 novembre
1908. domicilie au même lieu inscrit
à Auray 50276, célibataire.

Jaffré Jean-Joseph-Marie né à Plouhlnec, le 27 avril 1888. 
domicilié à Plouhinec. inscrit a Lorient 4.487
marié, trois enfants, dont l'aine a
17 ans

Mollo Pierre, né le 2 septembre 1987.
domicilié à Riantec, au village de Sébastopol
inscrit à Lorient 2565, marié,
deux enfants

Martin Auguste-Marie, né le 11 janvier
1893, a Riantec. inscrit à Lorient
4.801. domicilié à Riantec. marié, deux
enfants, 17.130

novice Guillevin Jean, né le 11 decembre
1920. à Locoal-Mendon. inscrit
à Auray 31.511. domicilié à Locoal.

<Le patron Le Gal parle du naufrage
A la fin de la soirée, comme nous demandions à M. Calloch qui s'est si courageusement dépensé pour le sauvetage, des nouvelles du patron Le Gal, qui a tenu absolument à soigner à son logis, nous avons pu apprendre que l'état de santé du malheureux était maintenant tout à fait rassurant. Bien que très fatigué, il a pu donner quelques explications sur son naufrage.
Son bateau, qui faisait eau, a-t-il dit, recherchait pour la nuit un lieu où Il aurait pu se trouver dans un calme relatif, car les hommes fatiguaient aux pompes qui fonctionnaient mal. C'est ainsi qu'un peu avant minuit, il vint à mouiller dans la baie de Gâvres au moment où la mer grossissait et que la boucaille se faisait de plus en plus dense. Mais, sous l'assaut de la grosse houle, le thonier vint à chasser sur son ancre et peu à peu il fut drossé sur le rivage où il talonna. Le pont fut balayé par les fortes lames qui enlevaient tout. L'équipage dut se réfugier dans la mâture tandis que le navire se défonçait de plus en plus.
Les souvenirs du patron Le Gal semblent ici moins précis tout au plus il ajoute qu'il a vu les uns et les autres de ses hommes partir, enlevés sans doute par les paquets de mer ou lâchant prise par la fatigue. Lui, Il eut la chance d'avoir suffisamment de force pour s'agripper.

On nous a signalé au cours de notre enquête que des senneurs qui se trouvaient
aux environs de la grande plage de Gâvres, dans la nuit, avaient vu le thonier et que. peu après. Ils avaient entendu de grands cris. Ils furent les témoins du drame mais les témoins qui ne pouvaient porter aucun secours, à vrai dire, ne se rendirent pas compte de la situation tragique dans laquelle se trouvaient les 6 hommes de l'Anse-du-Sach.

Honneur aux sauveteurs
Il nous reste à féliciter les hardis sauveteurs de Groix, qui n'ont pas hésité à risquer leur vie dans cette mer tourmentée et qui ont eu l'audace d'accoster leur vedette contre le thonier naufragé.
Dix fois leur embarcation manqua de s'écraser contre la coque du voilier.
Mais leur témérité, cette témérité qui leur semble toute naturelle et que, dans sa grande modestie M. Calloch ne voulait pas reconnaître comme nous le complimentions de son beau courage, elle est de tradition à l'île de Groix. M. Calloch. le sous-patron Pierre Tonnerre et le matelot Pierre Salaün ont écrit aujourd'hui une nouvelle page au palmarès de gloire des sauveteurs de Groix.
Ceux-ci ont été souvent à l'honneur: le mémorial de notre confrère Le Matin leur a été remis en 1933 en grande solennité, pour les exploits des vaillants équipages des patrons Jégo et Bihan. qui commandaient le bateau de sauvetage « et c'est justement quand il vente, quand ce vent de la mer qui nous tourmente n. comme dit la chanson des marins de Groix. que chantait dernièrement à pleine voix le vaillant député-maire de l'Ile, le capitaine au long cours Firmin Tristan. lors de la remise solennelle du drapeau des anciens combattants des armées de terre et de mer. que les marins de Groix savent se mettre au-dessus des eaux pour apporter aux naufragés le secours qu'ils attendent.




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