PARDON DE SAINT CADO 1933

Tableau de Désiré Lucas 
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Des Fadettes aux Korrigans

(Notes de Voyages) — SAINT -CADO

Or donc saint Cado, en des temps fort anciens, était venu évangéliser ce pays de pécheurs. Il avait, dans sa barque, franchi sans encombre la barre d’Etel. Il s’était enfoncé dans le fjord, bordé tour à tour de plages, de landes et de falaises. Le pays lui sembla beau, mais pauvre.
Les filets roux, bordés de lièges, séchaient sur l’herbe rase. Des champs de blé noir ondulaient sous le soleil. Leurs fleurs de vermeil crépitaient comme des étincelles. Des écharpes de mirages passaient par instant au-dessus. Les petits murs de pierres sèches, marquetés de lichens rouillés, désignaient les limites d’humbles champs, de maigres prairies, et, au loin, de gros rocs levés, qui semblaient vouloir dominer tout le paysage, disaient les anciens mythes auxquels la plupart des gens de ce pays croyaient encore.
En remontant avec le flot venant de mer, saint Cado arriva ainsi dans une petite île dont les maigres ombrages lui furent douceur après l’éblouissement de ces landes. Il déroula son filin et attacha son embarcation au tronc d’un hêtre. Il parla aux pêcheurs qui survinrent et les rendit vite confiants. Après des paroles de bon accueil, tous lui confièrent leur regret de n’être point reliés par un pont à la terre ferme. De longues heures du jour, en effet, la mer, en se retirant, laissait place à de la vase sur laquelle les bateaux ne pouvaient plus servir. Une digue, à défaut d’un pont, leur apparaissait nécessaire. Mais, hélas ! ils avaient dû mal s’y prendre, car, jusqu’ici, toutes leurs tentatives avaient échoué.
Saint Cado écouta avec bienveillance et leur promit de les aider. A lui seul, patiemment, il essaya d’édifier le passage souhaité. Mais vainement il remua blocs et pierrailles, la mer, plus forte, lorsque son flot puissant remontait dans la rivière, détruisait en moins d’une heure le fruit de ses efforts. Une nuit, que le saint s’employait une fois de plus à regrouper ses matériaux, le Diable vint le visiter qui lui dit :
« — Je me charge, en le moindre temps, de te construire ici une digue à toute épreuve et la seule récompense que je te demanderai sera de me livrer l’âme du premier être vivant qui passera dessus. »
Soucieux d’un tel pacte, mais plus désireux encore de voir sa chaussée construite, le saint accepta. Le lendemain matin, le travail était achevé, recta, comme il avait été convenu et le Malin, au bout du pont, attendait sa récompense. Mais à malin, malin et demi, saint Cado arriva, lâcha un chien qu’il avait enfermé dans un sac et cria de loin au Diable furibond : « — Cado, Cado, voilà mon cadeau ! » Mais cela n’alla pas tout seul. Lucifer voulut détruire son œuvre. Cado se précipita en avant en faisant de grands signes de croix. Dans sa précipitation, il glissa, laissant une marque sur le rocher que l’on voit toujours. Alors, les pécheurs, alertés par tant de vacarme, vinrent le soutenir et leur foi déjà vive s’exprima par tant d’eau bénite, de gestes propices et de prières que le Malin, joué, n’eut plus qu’à s’enfuir, ne laissant qu’une odeur de roussi... et la belle chaussée intacte.
On s’aperçut alors que le secret de sa réussite était d’avoir percé la base de sa jetée de plusieurs ouvertures par où la mer pouvait passer. Le flot montant n’étant plus bridé était devenu conciliant et, depuis des siècles, le chemin insubmersible est toujours là reliant la petite île de Saint-Cado à la terre ferme.
Au XV° siècle, on édifia une jolie chapelle de granit à la mémoire du bon évangéliste. Bien campée sous les arbres, aussi hauts que la pointe de son clocher à jour, ce qui veut dire que ce dernier n’est pas très élevé, elle s’abrite sous les deux grandes ailes de sa toiture d’ardoise piquée de mousse et montre un joli porche couvert à la mode bretonne et un portail sobrement couronné d’une accolade sculptée aux trois pointes. A côté de cette chapelle s’élève un curieux calvaire de la même époque et d’une forme assez rare. C’est une sorte d’autel auquel on accède par trois larges escaliers de douze marches où s’élèvent, à leurs angles, quatre pilastres. Au centre de la plateforme la croix se dresse, portant un Jésus de pierre de sculpture fort archaïque. Le vent de mer a ponctué ces deux édifices, ainsi que les vieilles maisons proches, de tavelures claires et de fleurs de rouille. De folles graminées montent du terre-plein herbeux. Des filets de pêche, des avirons et des cordages s’abritent près de ces marches séculaires et sous ce porche sculpté. En contrebas, au delà des hêtres, le flot brille et fait danser les barques. Le filet bleu d’un sardinier inscrit, qui vole entre deux mâtures semble s’accrocher aux branches basses des arbres et magnifie sa couleur sur les blés d’or qui couvrent la rive d’en face. Car c’est là en effet, le charme complexe de l’île de Saint-Cado qui, au fond de son fjord, à plus de dix kilomètres de la pleine mer, installe dans une campagne conquise à la vie agricole, le mouvement d’un petit port de pèche. Celui-ci retrouve son activité au jusant. Les barques arrivent d’Etel, passent à pleine voile rousse sous le grand pont Lorois et viennent s’arrimer au tronc des hêtres, au bas de la prairie où paît le jeu de dominos du troupeau, au flanc des champs de blé où roulent les chars de la moisson. Quelle surprise de voir des mâtures glisser leur ombre sur les murs blancs de la ferme, de voir les meules de paille se conjuguer aux casiers à homards, les madragues - filets - sécher sur la prairie où une vieille femme vient traire ses vaches.
Voilà bien de tes attraits exceptionnels, vieille Bretagne des poètes qui semble tout combiner pour leur plaire, ainsi qu’aux artistes ! Cette île charmante s’installe dans ce paysage de rivière maritime, de blés mûrs, d’arbres, de prairies, de rocs et de voiles comme un bouquet choisi.
A sa proue, au delà de sa chaussée, il y a une autre île, si petite qu’elle a tout juste la surface de la maison du garde-côte qui est bâtie dessus. A mer haute, il semblerait que cette maison va se mettre en branle et suivre le flot.
En vérité, rien n’a dépoétisé l’île de Saint-Cado. Elle s’est maintenue jusqu'à nous telle un présent des siècles avec ses vieilles maisons, sa chapelle, son calvaire, son clocher à jour, son antique croix épineuse qui se dresse sur la glissade de saint Cado, sa fontaine miraculeuse sous le fronton triangulaire, ses barques noires, ses voiles rousses, ses filets bleus qui volent sous les vertes ramures des hêtres.
Cette île charmante, loin des grandes routes, loin de la mer, est devenue le tout petit paradis des amants du passé et des peintres. Ceux-ci, respectueux de son pittoresque, de sa vie humble, de ses jours qui s’écoulent comme les grains d’un sablier, n’ont pas voulu y camper la maison des vacances. Ils viennent là, dans la pauvre auberge où l’on ne vit que de poisson, de coquillages et de pommes de terre, pour se donner quelques jours à la contemplation d’un petit monde d’autre fois miraculeusement subsistant.
Ils écoutent parler les pêcheurs. Sous leur plat béret, leurs visages tannés, illuminés d’un regard de pervenche, s’alignent sous les poutres noires du débit. Leurs mains noueuses s’avancent près des bolées de cidre. Le dimanche, sur la place, ils jouent aux boules. Leurs propos, malgré la dureté de leur vie, ne sont pas pessimistes.


La troisième semaine de septembre, vous les retrouverez tous, inclinés sous le porche de la chapelle, le jour du Pardon de saint Cado. Ils rendent un hommage particulier, ce jour là, à l’ermite d’autrefois qui leur valut cette chaussée où claquent à toute heure leurs sabots, ce clocher où tintine la cloche, ce calvaire où, au large, les jours de tempête, se tournent souvent leurs pensées. 
L’intérieur de la chapelle est plein de voix fraîches, de coiffes, de tabliers de soie et de fleurs de papier. Elle ne vit guère que ce jour-là de l’année. Le reste du temps, les fresques naïves, représentant la vie du pieux ermite, s’étiolent davantage, on dirait, et se salpêtrent. Les couronnes de mariées, accrochées à l’entour de son autel de bois où le saint, rubicond est colorié comme par des enfants, attestent cependant du crédit qu’on lui fait toujours. Les jeunes filles pensent que saint Cado favorise l’hyménée, fût-elle obtenue par des moyens plus ou moins licites. Ces fleurs d’oranger, dont certaines sont d’une vertu parfois bien éventée, sont apportées traditionnellement ici en manière de reconnaissance... Un harmonium asthmatique semble, dès qu’on y touche, faire pleurer les murailles. Des squames verdies rendent les dalles glissantes. Un confessionnal ne tient plus debout. Les poutres de la voûte sont soutenues à chaque bout par une gueule de crocodile. Un grand tableau noirci, au-dessus de l’autel, montre un saint Cado qui se rebiffe avec autorité devant l’attaque de guerriers mécréants. Mais la porte de la petite chapelle s’ouvre sur l’or du beau jour de septembre. Les bannières fanées s’inclinent pour aller processionner dehors et les épaules carrées de deux « cols bleus » de la flotte soutiennent le brancard où se dresse la frégate ex-voto. Les cantiques vont tourner autour de l’île. A la vie agricole, à la vie maritime qui s’unissent au fond de ce fjord, la vie religieuse va s’ajouter et, pour un jour, aura la suprématie. L’air sentira l’encens plus que le goémon et les roses trémières. 


La frégate aux cent canons, portée par les gars de la marine, aura le pas sur les sacs de patates et la chaloupe du sardinier. Et l’ostensoir du prêtre montera sur l’île chantante, comme un soleil des anciens âges, dans la fumée combinée des encensoirs, des cotriades de pêcheurs et des feux lents de bergers...

Raoul TOSCAN





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